Chronique littéraire été 2024 avec Marie-Hélène Therrien


13 juin 2024

Par Marie-Hélène Therrien

Le Censeur

Publié aux éditions Les Justes, est un roman d’Alexandre Tremblay qui propose une critique sociale sur l’époque actuelle dominée par une pensée de plus en plus restrictive, celle qui provient des dérives dystopiques du wokisme. Le Censeur est le deuxième roman d’Alexandre Tremblay. Dans ce livre qui donne à réfléchir sur les nouveaux impératifs d’une gauche de plus en plus omniprésente dans toutes les sphères de la société, Alexandre Tremblay nous plonge à nouveau dans le milieu universitaire gangrené par un conformisme aliénant. On y suit le cheminement de François-Xavier, qui vient de terminer son doctorat en littérature portant sur Michel Houellebecq, son auteur de prédilection, mais qui est « conspué par la quasi-totalité des universitaires et des gens de bonne compagnie ». François-Xavier incarne l’universitaire ou le citoyen qui a conscience que quelque chose ne tourne pas rond et dans la société, et à l’université, qui se prend pour un résistant mais n’est « rien de moins qu’un collabo de la pire espèce ». En effet, il a « l’intime conviction que l’on (lui) reprocherait sa dissidence (s’il osait) la dévoiler au grand jour ». Alexandre Tremblay montre à quel point est présente la censure dans le milieu littéraire québécois : « Tout pue l’inceste dans ce monde congénital ». François-Xavier avoue quand même que malgré tout le mal qu’il pense de ces gens il désire appartenir à leur secte littéraire. Si bien que dans sa thèse de doctorat, il va jusqu’à trahir son auteur fétiche pour éviter l’infréquentabilité, comme l’aurait fait le personnage de François du roman Soumission de Houellebecq qui se soumet à la volonté du temps pour « survivre dans un monde où la mort sociale est souvent prématurée. » Se voyant proposer un emploi par le professeur Albert Dupire, septuagénaire qui résiste à la « castration réflective » mais qui n’en demeure pas moins discret pour éviter de subir le même sort que les « guillotinés du corps professoral jugés trop bavards », François-Xavier se présente chez le professeur pour découvrir de quel emploi il s’agit. Ce dernier apprend à François-Xavier qu’un ancien élève cherche à pourvoir des postes de réviseurices-correcteuristes qui consistent à censurer les romans qui ne respectent pas les critères idéologiques sinon ethniques et de genre qu’impose le milieu sectaire qu’est devenu le milieu universitaire et littéraire, et que le titre de la thèse sur Houellebecq a « charmé ce guignol ». Bien que tout ce que représente cet emploi lui répugne au plus haut point, François-Xavier finit par accepter le poste. Sa fonction consistera à remplacer les expressions « offensantes » des œuvres littéraires par des formulations plus inclusives et à rejeter les livres qui ne se conforment pas à la pensée manichéenne qui oppose les hommes blancs aux diverses minorités victimisées. Dans ce climat d’Inquisition, François-Xavier deviendra comme des milliers d’autres : un collabo qui choisit de rentrer dans le rang pour avoir le droit de fréquenter ses pairs et gagner son salaire. Dégoûté par ce qu’il fait, il est un temps tenté de faire comme Oskar Schindler qui espère, « par sa position avantageuse, sauver ce qu’il peut de la liberté des écrivains ». Mais tout a été prévu dans ce poste du ministère de l’Éducation et malheur à celui qui tente d’intervenir. Il faut lire le livre pour découvrir comment François-Xavier arrivera à se sortir de la situation inconfortable et qui le mine de l’intérieur. Car comment accepter d’effectuer un travail qui rend les œuvres inoffensives mais complètement insipides lorsqu’on aime les livres et la réflexion?
Le censeur d’Alexandre Tremblay est à découvrir.

Juillet n’est pas une vivace

Publié aux éditions Québec Amérique, est un thriller psychologique de Gabrielle Delamer. Marilyne est une femme de trente-cinq ans, célibataire, qui préfère la solitude et ses moments privilégiés chez elle à la compagnie de ses semblables. Sa sœur Marie-Louise se désole de la voir passer ainsi son temps seule et l’encourage à faire comme elle : trouver celui qui partagera sa vie et lui fera renoncer à sa passion un peu étrange : regarder des films d’horreur le soir, en buvant de la bière et mangeant des chips. Cette passion pour les films d’horreur lui vient de son père qui, depuis ses douze ans, lui a fait découvrir ces films devant lesquels elle jurait ne pas avoir peur. Un soir de juillet, Marilyne reçoit un appel d’un ami de son passé qui lui ramène en mémoire un été marquant de son adolescence, en 1998. C’est Charles-Henri qui prend de ses nouvelles. Avec ce dernier et Jérôme, Marilyne jouait dans un groupe de musique. C’est l’été où tout a basculé. Charles-Henri propose à Marilyne des retrouvailles. Elle confie à sa sœur Marie-Louise qu’elle n’en a aucune envie, mais cette dernière l’incite à les revoir. À contre-cœur, Marilyn décide d’inviter Charles-Henri et Jérôme, près de 20 ans après leur dernière rencontre. Elle prépare donc un souper qu’elle servira dans le solarium. À leur arrivée, l’atmosphère est détendue, mais au fur et à mesure que la soirée avance et que les langues se délient, l’alcool aidant, on assiste à une espèce de huis-clos où l’enfer, c’est davantage les autres que ce que Marilyne observe pendant le visionnement de ses films d’horreur. Le passé, qu’elle croyait enterré, revient la hanter et elle se rend compte que le temps ne règle pas toujours les choses. Un récit bien écrit, empreint de sensibilité et d’intériorité, avec une histoire qui se dévoile au gré de chaque service du repas, pas toujours facile à digérer pour les convives. Un premier roman pour adulte de Gabrielle Delamer qui a publié auparavant trois romans jeunesse.

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