15 août 2023
Chronique littéraire
Marie-Hélène Therrien
Crise sanitaire et régime sanitariste – Deux ans de Covid-19
Publié aux éditions Liber, est un essai sous la direction de Claude Simard et Jérôme Blanchet Gravel qui s’interroge, de bien des façons et sous la plume de dix auteurs, sur le « désordre qu’a engendré non pas tant la maladie elle-même (Covid-19) que la mise en place et la gestion d’un régime spécial d’existence sinon expérimentale, du moins inédite. » Si le livre est tout à fait clair et accessible, le contenu n’en reste pas moins dense et suscite maintes réflexions sur notre avenir collectif et individuel dans nos sociétés dites démocratiques après un virage autoritaire, sinon totalitaire. La logique militaire mise en place (« faire la guerre au virus »), a amené les états libéraux occidentaux « à suspendre les droits individuels, comme cela a pu être le cas dans le passé lors de conflits armés. » Après deux ans de crise, déclare Vincent Mathieu dans le chapitre Déclin de la démocratie libérale, « il est capital de se demander si les mesures sanitaires ont une visée temporaire ou si elles servent à marquer les usages communs et installer durablement une nouvelle normalité sociale. » Il ajoute : « l’urgence sanitaire a-t-elle été un type de parenthèse nécessaire à l’intérieur d’une démocratie toujours en santé ou est-elle l’empreinte d’un mode de gouvernance de plus en plus coercitif à travers l’Occident ? » En 2000, Gabrielle Gourdeau dans son essai La répression tranquille écrivait : « après avoir mis tout le monde devant cette constante « menace » qu’est devenue la vie, l’État contrôleur en est arrivé à décider ce qui est bon ou mauvais pour tous. Plus moyen de juger par nous-mêmes l’étendue des dangers que présentent les moindres fait, geste et déplacement de notre quotidien le plus banal. Impossible, désormais, d’accéder à cette liberté totale qui consiste à ‘‘choisir ses maux’’. » L’auteure, décédée en 2006, n’a pas assisté à la crise de la Covid-19 mais semble en avoir ressenti les conséquences deux décennies auparavant, à moins que l’an 2000 n’ait déjà ouvert la voie à cette situation où, indique encore Vincent Mathieu, « il est étonnant de constater la facilité avec laquelle ces mesures contraignantes se sont installées sans protestation médiatique et juridique, et avec l’approbation tacite de la majorité de la population (confinement, couvre-feu, contrôle des déplacement et limitation des rassemblements, fermeture de secteurs économiques, obligation vaccinale pour travailler , passeport sanitaire et censure médiatique…) ». Mathieu invite à « considérer l’impact que la théorie du réchauffement climatique anthropique pourra avoir au fil du temps sur l’effritement de la démocratie libérale. » L’essai pose un grand nombre de questions pour analyser le cheminement de l’effritement des libertés individuelles. Étienne Boudou-Laforce s’interroge quant à lui sur la censure de masse, mentionnant son inquiétude devant des entités supranationales telles que Google (You Tube) et Facebook qui ont pu « en régulateurs autoproclamés de la liberté d’expression, décider de leurs propres critères pour déterminer ce qui est un contenu acceptable et ce qui ne l’est pas. » Leurs standards bafouent donc « l’État de droit et se moquent de la souveraineté des nations, de même que de notre capacité d’interagir et de débattre d’idées dans un contexte pluraliste. » Crise sanitaire et régime sanitariste souligne aussi l’utilisation du langage. Claude Simard explique : « le discours sanitaire recourt aux procédés langagiers déjà observés dans le langage totalitaire et qui sont généralement employés pour la propagation d’une idéologie : énonciation antagoniste sur le mode de l’exclusion et de la contrainte, jeu très contrasté de connotations mélioratives et péjoratives, altération du sens des mots, martèlement du message avec répétition de formules stéréotypées ». Ainsi, l’ostracisme a marqué de façon incontestable la période de la crise sanitaire. La façon dont on s’en est pris à tous ceux qui émettaient des réserves face à la gestion de la crise reste l’une des pires conséquences de cette sombre période : « Le sanitarisme a entraîné la stigmatisation et l’exclusion. Ont d’abord été maudits les opposants aux mesures d’isolement, traités indistinctement de ‘covidiots’, de ‘complotistes’ ou de ‘négationnistes’. Plus tard, avec la vaccination massive, bien des gens et de nombreux chroniqueurs, encouragés par le discours gouvernemental polarisateur, s’en sont pris aux non-vaccinés, tenus pour des nuisances publiques et assujettis à toutes sortes de contraintes ségrégatives (passeport vaccinal exigé presque partout, interdiction de voir un proche à l’hôpital, menace de vaccination obligatoire en dépit du principe de consentement éclairé à un traitement médical, etc.). » À l’heure où le gouvernement fédéral envisage de contrôler la diffusion et le contenu de l’information au Canada, il est capital de lire l’essai collectif Crise sanitaire et régime sanitariste afin de mieux réfléchir aux conséquences possibles de ce type de gestion politique pour notre vie individuelle et collective et pour l’existence des générations montantes et à venir. Les auteurs abordent en effet plusieurs aspects des questions des droits fondamentaux de la personne menacés par la « psychose collective caractérisée par une forme d’hystérie aseptique ».
Cauchemar au bout du monde – Le voyage de la Belgica dans la nuit polaire
Publié aux éditions Québec Amérique, est un récit d’aventures de Julian Sancton. Histoire captivante d’humains poussés à leur extrême limite, ce véritable thriller maritime entraîne lecteurs et lectrices dans le monde au décor enchanteur des glaces du sud, avec une intrigue qui tient en haleine tandis que le Belgica, de mauvaises décisions en mutineries, d’avaries en périls naturels, d’incompétence en accidents, explorait l’Antarctique en 1898. Julian Sancton, féru d’histoire, fait revivre le périple du navire dans un ouvrage au carrefour du roman historique, du récit d’aventures et du journal d’exploration. Dirigée par Adrien de Gerlache, jeune officier de marine belge, et réunissant un équipage de marins, de scientifiques et d’aventuriers – une première –, l’expédition du Belgica semblait destinée à l’échec avant même d’avoir quitté les eaux de la Belgique. Le manque initial de fonds, leur gestion douteuse et un personnel inexpérimenté et indiscipliné ont pratiquement assuré le désastre. Piégés dans les glaces pendant plus d’un an, le navire et ses passagers ont été les premiers à passer un hiver en Antarctique. La ténacité d’officiers comme Frederick Cook et Roald Amundsen (devenus légendaires par la suite) fut leur dernier rempart contre la désolation d’une nuit presque sans fin. Avec un accès exclusif au journal de bord du navire, Julian Sancton a accompli un travail narratif remarquable pour dépeindre la survie d’une des expéditions les plus ambitieuses et hasardeuses de l’histoire. Roman à la tension maintenue, avec quelques pauses descriptives de l’environnement, les lecteurs et lectrices assisteront à une histoire qui les hanteront longtemps après avoir refermé le livre.
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